C’est le fait de voir beaucoup de structures d’accompagnement ou d’événements utiliser le Business Model Canvas avec les startups qui m’a inspiré ce billet. Je me demande pourquoi le Business Model Canvas est devenu pour beaucoup l’outil de structuration d’un projet émergent ? Est-ce parce que c’est l’outil le plus connu (le plus mal utilisé aussi), celui qui a fait l’objet d’un livre, de toutes sortes de workshops et même de certifications ? Une hypothèse pour moi est que le Business Model Canvas permet surtout une transition plus douce vers le monde de l’innovation pour ceux qui viennent de la culture du business plan.
Dérivé du Business Model Canvas par Ash Maurya, il est beaucoup plus approprié au démarrage des projets, cette phase amont où le champ des possibles est grand ouvert. Peu de structures d’accompagnement travaillent à la structuration amont du projet et pourtant la clarification de la vision et le « dérisquage » sont des étapes clés préalables à la phase de réalisation. Le Lean Canvas permet de focaliser la réflexion sur des éléments qui n’existent pas dans le Business Model Canvas comme le problème, les metriques et le « unfair advantage ».
A ‘startup’ is a company that is confused about what its product is, who its customers are and how to make money.
– Dave McClure, 500Startups
Alors que le Business Model Canvas décrit les flux de valeur de n’importe quel type d’entreprise (TPE / PME / grand compte), le Lean Canvas a été conçu pour les organisations qui doivent naviguer dans un contexte de grande incertitude. C’est un outil focalisé sur la proposition de valeur (quoi / pour qui / pour quoi) donc plutôt bien adapté au stade de l’adéquation problème / solution que traversent les startups.
On ne soulignera jamais assez l’importance de cette case : un problème mal défini produit toujours une solution bancale.
Il ne suffit pas d’avoir identifié un problème, encore faut-il identifier le véritable coeur du problème et s’assurer qu’il est suffisamment pénible pour que l’utilisateur ait envie de payer pour une solution.
If you don't know *why* you're building the *what*, the *how* will be flawed from the start. #agile #impactmapping
— Neil Killick (@neil_killick) September 10, 2014
Dans son livre « Validating Product Ideas » Tomer Sharon raconte une anecdote personnelle qui illustre bien ce propos. Chaque hiver, le clavier numérique qui ouvre le garage qu’il loue se grippe avec le gel. Chaque fois qu’il doit aller dans son garage, il contourne le problème (du clavier gelé) en entrant par une petite fenêtre et le tour est joué. Le problème existe, il en est conscient, et pourtant il ne cherche pas activement à le résoudre. C’est ce qui arrive à beaucoup de startups qui essaient de vendre une solution (souvent bien ficelée) à un problème non crucial.
Dans le cas de Tomer, le vrai problème n’est pas que le clavier numérique se bloque avec le gel mais plutôt que les relations de Tomer avec son propriétaire sont pénibles et que réparer l’entrée du garage sous-entend qu’il faut batailler avec le propriétaire, trouver un réparateur, se mettre d’accord sur qui paie quoi, être présent pendant la réparation, etc. Le vrai problème est donc pénible, difficilement soluble, et en plus il existe une solution de contournement satisfaisante (la fenêtre). Cette petite histoire illustre qu’il ne suffit pas d’avoir un problème identifié pour faire qu’un produit se vend. Il faut trouver le véritable problème et s’assurer que le client est prêt à payer pour le résoudre.
Travailler de manière approfondie sur la cellule « problème » permet également de développer son sens de l’empathie en prenant en compte les aspirations du client (ce qu’il essaie d’accomplir), ses douleurs et les obstacles qu’il rencontre (et qui sont contextuels). Et aujourd’hui la plupart des entreprises qui réussissent sont passées maîtres dans cet art de comprendre parfaitement les motivations intrinsèques de leurs clients, y compris d’un point de vue émotionnel (c’est le cas de Pinterest et Slack, entre autres).
L’entrepreneur doit aussi travailler sur le bas de cette case libellé « alternatives existantes » car elle l’oblige à examiner le contexte et l’environnement client : comment fait-il/elle aujourd’hui pour résoudre ce problème ? Et surtout, si cette section est vide, on vous invite à retravailler très vite votre idée car si personne n’a trouvé de solution de contournement au problème, c’est que celui-ci n’est pas suffisamment douloureux pour votre client et il est peu probable qu’il paiera pour une solution.
L’entrepreneur peut aller très loin dans le détail de sa solution technique – surtout s’il a un profil technique – même lorsqu’il n’a aucune preuve de la moindre traction sur son idée. Il se complaît dans la description et le détail des fonctionnalités (le quoi et le comment) mais est souvent mal à l’aise lorsqu’il s’agit d’exprimer clairement à quel problème la solution répond (le pourquoi).
Pire, lorsque la réalisation est trop engagée, le porteur rechigne bien évidemment à mettre la validité de son idée en cause et va bien souvent se réfugier derrière des arguments comme « si je n’ai pas de client c’est qu’il manque des fonctionnalités à mon produit (et je vais demander à mes utilisateurs lesquelles ajouter) » ou encore « je n’ai pas de client parce que je n’ai pas assez de budget marketing »… hérésie. Si vous n’avez pas de clients, c’est que vous avez fait un produit qui ne sert à personne.
Dans les tous premiers stades de maturation du projet, cette case pourrait être remplacée par « l’hypothèse la plus risquée » (l’hypothèse qui, si elle n’étais pas vérifée, mettrait en péril tout le projet) de manière à éviter de parler trop tôt de la solution.
Ash Maurya définit cette case comme étant un avantage concurrentiel qui ne peut pas être facilement copié ou acheté. A une époque où les startups (comme les data) sont devenues une commodité de l’écosystème numérique, j’aime challenger les porteurs de projet sur cet élément. Toutes les idées existent déjà. Il est probable que quelqu’un quelque part soit en train de travailler sur le même sujet, alors qu’est-ce qui va faire que ce projet a davantage de chances de réussir ? Même si au démarrage il est peu probable d’avoir un « unfair advantage » fort, il est important d’y réfléchir très tôt, de cultiver sa différentiation et de construire cet avantage. On peut citer comme exemples le fait de détenir un brevet, d’avoir écrit un livre, d’être un(e) conférencier(e) reconnu(e), ou encore d’avoir construit une grande communauté d’utilisateurs sur le sujet.
Dans les phases très amont du projet, nous incitons l’entrepreneur à se focaliser sur 1 ou 2 indicateurs maximum. Il n’y a pas de règle prédéfinie : cet indicateur est très différent d’un projet à un autre, on demande simplement qu’il soit authentique (il doit représenter vraiment la progression du projet) et actionnable (on peut avoir une action dessus).
En revanche, on évite de plonger dans les vanity metrics (nb de pages vues, nombre de likes ou de followers, pourcentages en tous genres) et on s’interdit de raisonner en pourcentage (« notre startup a fait 400% de croissance en 3 mois… » 400% de 0, ça fait toujours 0 :)
Elément central du Lean Canvas ET du Business Model Canvas (c’est dire si cette notion est importante), la proposition de valeur n’est pas un élément facile à formuler. A ne pas confondre avec le « Mission statement » (ce que l’on fait, le « quoi »), la proposition de valeur exprime pourquoi le client devrait choisir votre solution (le pourquoi).
Formuler sa proposition de valeur est un travail de longue haleine et itératif. Car une bonne proposition de valeur est précise et percutante (sert peu d’objectifs mais extrêmement bien), délimitée (focus sur ce qui fait vraiment mal), différentiante (par rapport à la concurrence), scalable (adresse la problématique de beaucoup de gens ou bien se valorisa cher) et difficile à copier.
Expliseat, jeune startup toulousaine qui fabrique un siège d’avion révolutionnaire, a une proposition de valeur forte et limpide : l’entreprise a conçu un siège d’avion en titane qui a le triple mérite d’être plus solide, plus léger et plus design. Le siège Expliseat ne pèse que 4kg (contre 11 kg en moyenne pour les autres sièges), contient moins de pièces détachées (donc sa maintenance est facilitée) et a un design qui offre plus de place au passager. Chaque année, la réduction du poids des sièges sur un avion permet d’économiser jusqu’à 500 000 dollars de carburant. Pour un appareil. Imaginez l’impact sur toute une flotte. Tout en améliorant le confort du passager. Tous ces éléments se retrouvent très clairement sur leur page d’accueil.
Et pour montrer à quel point le bénéfice est quantifiable, Expliseat met à disposition un calculateur qui permet de simuler le montant économisé en utilisant leur siège !
(on note au passage les 4 prix en guise de « unfair advantages » : L’Observeur du Design Award 2015, JEC Innovation Awards 2014 Aircraft interior, International Titanium Association Development Award 2014 et finaliste 2014 duu Crystal Cabin Award)
Pas du tout ! Le Business Model Canevas est utile pour décrire comment une entreprise crée, délivre et capture de la valeur. Il représente votre organisation sous forme d’écosystème – ouvert sur l’extérieur, avec ses ressources et ses partenaires clés. Il s’utilise pour tout type d’entreprise.
Pour la startup il devient utile lorsqu’elle a atteint l’adéquation produit / marché. Elle a alors éliminé une part du risque et de l’incertitude et travaille sur sa scalabilité. L’organisation est alors en transition, en plein shift entre un état où elle était à la recherche d’un modèle économique viable et un état où elle exécute un modèle économique à la recherche de scalabilité.
Après avoir accompagné beaucoup de jeunes pousses avec ce type d’outils très simples et très visuels, au Shift on apprécie la simplicité et la fluidité de ces canevas : toutes les cases sont liées entre elles pour former comme un organisme vivant où tout changement sur l’un des blocs impacte immédiatement les autres. Ces deux outils ont bien sûr leurs imperfections, et doivent être adaptés au contexte mais ils sont documentés, font l’objet de beaucoup de retours d’expériences et toute cette connaissance vous est accessible en quelques clics. Utilisez donc les originaux !
Nous proposons une Formation Lean Startup Business Canvas et Lean Canvas, pour se familiariser avec les différentes méthodes et choisir la bonne !